Elle est partie. Elle a confectionné une dernière fois pour les hommes de son foyer son traditionnel plat de pâtes piquantes accompagné de viande d’agneau et elle est partie en laissant un petit mot très vague et peu rassurant. Un départ étonnant qui prend son fils et son mari de court. Cet évanouissement soudain a été soigneusement préparé car il recouvre un projet personnel mûri, une nécessaire recherche de vérité. Cependant, cette démarche accomplie en secret, en solitaire, sous le manteau, ne va pas seulement concerner la seule Amani Gammoudi. En voulant révéler sa présence et montrer à ses «hommes» toute la place qu’elle occupe par cette brusque absence, elle entraîne dans sa quête, à la fois malgré elle et avec préméditation, son époux Hedi et son fils Slamane.
Dans leur cité de banlieue, baptisée la Caverne en raison de ses immeubles «rupestres» ornés d’animaux préhistoriques, père et fils sont soudain confrontés à bien plus qu’à l’absence. D’abord à eux-mêmes, puis au vertige de leurs vies qu’ils ont laissées s’étriquer. Hedi vit replié dans la retraite et ses rituels, Slamane a tourné le dos à ses grandes capacités intellectuelles et à ses diplômes universitaires pour s’enkyster dans cet univers limité. À 36 ans, il délaissé ambitions et amour pour un petit boulot sans avenir, des soirées à zoner sur un parking pour faire la teuf après le taf tout en ayant jamais quitté le confort relatif d’une chambre toujours tapissée des Schtroumpfs de son enfance. Ils doivent aussi affronter le regard de leur voisinage sur cette étrange histoire présentée d’abord comme une simple fugue.
Dans le conflit et l’incompréhension, mais aussi dans l’affection et la solidarité. Ceux qui sont restés et sont pourtant les plus égarés, vont mener l’enquête et démêler la pelote d’une histoire familiale embrouillée qui s’enracine dans les montagnes de Tunisie.
Ramsès Kefi, journaliste et ancien du Bondy Blog, signe ainsi un premier roman social et prolétarien, intime et chaleureux, écrit dans un style souvent bien imagé, direct et toujours très fluide. Sous ce vernis gouailleur et contemporain, l’auteur parle avec délicatesse et profondeur du vieillissement. Celui du couple, celui des enfants et celui, plus insidieux, des sentiments, même si ces derniers peuvent se réveiller de façon éruptive.
Ce roman constitue une forme de témoignage documentaire sur ce que signifie de l’intérieur la vie en banlieue. Car la Caverne s’élève aussi à la hauteur de personnage dans cet histoire qui oscille de la cité où l’on a tenté de s’enraciner et le bled d’où l’on ne s’est pas déraciné. Dans cet antre se terrent aussi des personnages parfois formidables comme Archie, mélange délicieusement monstrueux de taupe et de sorcier de la mécanique, des «institutions» en faillite telle le PMU du coin sans oublier ce réseau diffus de combines et de solidarités qui permet d’ouvrir certaines portes et d’accéder aux toits comme on gagnerait le ciel…
«Quatre jours sans ma mère», par Ramsès Kefi, Éditions Philippe Rey, 208 pages, août 2025
Une phrase: «Quatre jours de séparation, ce n’est rien pour le commun des mortels mais à notre échelle de ronron, c’est presque une vie.»
Avec cette histoire sociale qui parle de l’émigration, Ramsès Kefi, ancien du Bondy Blog, signe son premier roman. Photo: Philippe Matsas/ Éditions. Philippe Rey