Dans «Notre part féroce», Sophie Pointurier a les crocs et le prouve en nous offrant ce roman où les femmes sont des louves et les louves des femmes. Dans l’espace fictionnel qu’elle définit et défriche avec élégance, son propos tisse de subtils motifs qui, dans un récit fractal, combinent la peur viscérale qu’inspire le loup, le long combat des femmes pour gagner leur liberté face aux hommes et l’épaisseur d’un secret familial.
Entre les époques, les légendes, les mythes, les rêves et les faits, ce livre sinue sans jamais se perdre dans un entrelacs que dénoue Anne. Cette journaliste, mère célibataire d’une adolescente prénommée Scarlett, revendique ses choix, son indépendance, sa condition. Elle écrit sur la présence du loup en Bretagne ce qui lui vaut inimitiés et menaces. Elle est alors contrainte par sa hiérarchie de prendre du recul et d’aller s’intéresser, du côté de La Grande Motte, à un cas singulier et ancien de «Dame blanche». Une légende urbaine qui met en scène une femme faisant de l’auto-stop et qui, une fois embarquée par un automobiliste, signale un virage ou une intersection dangereuse avant de s’évaporer, tel un spectre.
L’affaire oscille alors entre l’enquête et l’équipée. Car Anne entraîne dans l’histoire, sa fille, sa mère et Rose, l’amie alcoolique qui veille sur cette maman au comportement erratique et aux humeurs bizarres. Et dans ses volumineux bagages, cette dernière embarque malgré la chaleur une pelisse malodorante dont, tel un doudou, elle ne se sépare jamais. Toutefois, en Languedoc aussi, le loup n’est jamais loin. Il rôde, il hante, il laisse les traces puantes et sanglantes de son passage, il inquiète, fait peur et fait réfléchir aussi.
Au fil de cette histoire tout en méandres, Anne, Scarlett et Rose, suivent mordicus, avec ténacité, cette étonnante piste du loup, du loup-garou même. Ensemble, elles vont aller chercher la clé de cette histoire que leur fournit pourtant rapidement et obligeamment Vassili. Ce voisin d’Anne cherche des fonds pour monter une librairie. C’est un érudit qui lit des ouvrages rares et brûle l’huile de minuit en explorant la toile en quête d’informations sur la lycanthropie.
Mais «Notre part féroce» peut aussi apparaître comme un roman d’apprentissage, d’initiation qui éclaircit des rapports générationnels et matriarcaux. Jusqu’à un ultime hurlement lâché dans les Abruzzes, ce livre anguleux, scandé, découpé, porté par une énergie vibrante s’appuie sur un style soutenu, tendu mais toujours agréable. Après «Femme portant un fusil», Sophie Pointurier revient avec une histoire sauvage qui montre combien l’amour peut être dévorant quand une louve protège sa progéniture. C’est aussi, un hommage au leu, animal puissant, redouté et fascinant qui nourrit des peurs archaïques et une actualité toujours brûlante. En s’attachant à ce grand prédateur craint et souvent haï par les hommes, la romancière en fait ici un allié des femmes.
«Notre part féroce», par Sophie Pointurier, Éditions Phébus, 208 pages, août 2025
Une phrase: «Le loup rétablissait un rapporte de force en faisant peur à ceux qui nous faisaient peur et dans les méandres de nos réflexions, le loup et l’ours étaient nos alliés à toutes.»
Avec «Notre part féroce», Sophie Pointurier revisite toute la mythologie du loup. Photo: Marie Rouge