C’est un premier livre extravagant, un grand feuilleton, une sorte de roman familial à la dimension parfois freudienne. Il montre que l’on peut avoir un père Ivoirien et l’ombre portée du chef nazi Heinrich Himmler dans les méandres de sa généalogie. Ces pages toujours étonnantes et souvent un peu folles explorent de multiples pistes, remontent le temps, tissent la grande histoire et son impact sur les petites gens, fourmillent de détails, se perdent parfois en anecdotes et débordent d’une énergie brouillonne. À travers elles, Matthieu Niango offre cependant un témoignage extraordinaire et une enquête détaillée, longue d’une vingtaine d’années, sur ses origines multiples.
Il y a dans ce livre baroque et rigoureux quelque chose de l’«Autoportrait», cette chanson de Mouloudji où le chanteur se dit, par exemple, «Catholique par ma mère, Musulman par mon père, Un peu juif par mon fils, Bouddhiste par principe». Mais chez Matthieu Niango, métis né d’un père Ivoirien et d’une mère française, il faut aussi passer sous les fourches caudines du chef nazi Heinrich Himmler et de ses Lebensborn, ces pouponnières qui devaient alimenter le Reich en enfants qui soient de dignes représentants de la race nordique. Gisèle, la mère de Matthieu, est en effet née en 1943 dans une de ces institutions installée en Belgique. Elle y a été abandonnée par ses parents biologiques, une jeune réfugiée hongroise et un officier de l’ordre noir…. Puis, après-guerre, Gisèle a été adoptée par une famille française non sans que les traces de ce passé aient été occultées sinon gommées par les autorités.
Matthieu Niango s’emploie donc patiemment à percer les murailles du temps, à démolir les constructions qui encryptent le secret pour démêler l’écheveau de cette histoire qui va le conduire en Belgique bien sûr mais aussi jusqu’en Hongrie d’où est originaire la lignée matriarcale qui pourrait bien être d’ascendance juive. La longue suite de découvertes qui constitue la trame ahurissante de ce livre questionne d’ailleurs l’auteur lui-même qui avoue: «j’aurais souvent ce problème à mesure que nous progressons dans l’histoire de ma famille: le sentiment d’une fiction extravagante».
Entre consultations des archives, voyages, rencontres et appels sur les réseaux sociaux, Matthieu Niango comble les blancs, remplit les béances des non-dits, se découvre des parents dont il ignorait tout, visite des lieux dont on a oublié qu’ils étaient chargés d’histoire.
Il chemine avec la foi du pèlerin sur le chemin de croix d’une hérédité chahutée et marquée d’une croix gammée tout en étant à la fois bouleversé et enthousiasmé par ces découvertes. Il lui arrive de se laisser emporter par le flux de ses émotions et de s’égarer un peu dans les impressions où les sentiments qu’il prête à un aïeul sur la simple vue d’une photo. Mais qu’importe, c’est aussi son lecteur qu’il emporte dans ce tourbillon qui est sous-tendu par une grande exigence historique et universitaire. Normalien et agrégé de philosophie, Matthieu Niango, s’est ainsi renseigné auprès d’experts comme l’historien Johann Chapoutot, spécialiste reconnu de l’histoire du nazisme.
Les derniers chapitres de l’ouvrage offrent aussi une réflexion qui vient tempérer la démarche douloureuse et complexe que Matthieu Niango a mené pour faire aboutir cette quête intime des origines. Un travail, comme on le dirait d’un accouchement, qu’il a su, avec sa famille, sublimer en devoir de mémoire avec la pose d’une plaque commémorative des événements que sa mère et d’autres enfants, on traversé.
Le livre de Matthieu Niango recèle un grande richesse thématique puisque dans cette histoire finalement assez traumatisante, il évoque aussi l’impact de l’épigénétique dans la transmission d’événements et d’émotions antérieures sur l’attitude ou les réactions d’une personne donnée. Mais ce que l’on retient surtout de cette histoire sidérante, c’est comme il le souligne «que notre devoir est d’opposer au racisme toute la richesse inépuisable de nos identités multiples.»
Et celui qui le dit a dans son sang «du Noir, du nazi et peut-être du juif» et porte le poids du passé.
«Le Fardeau», par Matthieu Niango, Éditions Mialet Barrault, 400 pages, 20 août 2025
Une phrase: «Si Himmler me voyait avec mes grosses lèvres autour du goulot de ma bière! Peau brune, cheveu crépus et sang aryen. Pygmée, SS.»
Matthieu Niango est l’auteur de plusieurs livres dont un roman de science-fiction intitulé «La dignité des ombres». Avec « Le fardeau », il offre un témoignage extraordinaire et une enquête détaillée, longue d’une vingtaine d’années sur ses origines multiples.