Un conte bien dans le vrai


Dans le vaste champ pourtant bien labouré de la littérature, écrire un conte – qui plus est philosophique – est sans doute un des exercices les plus casse-gueule que soit.
Comme dans tous les autres genres, les textes sont nombreux et les réussites sont plutôt rares. Alors en plus se risquer dans l’aventure à compte d’auteur relève d’une sacrée dose d’inconscience, ou bien d’optimisme, voire de foi.
Et c’est bien de ce côté là, du côté de la sagesse, qu’il faut aller lire «La plus petite île du monde», une jolie petite folie signée Chris Arro.

Du haut de ses 8 ans, Eliott veut à tout prix quitter se petite île de Kapos. Il affiche la détermination farouche, butée, d’une petite âme forte qui trépigne d’impatience. Il a envie de larguer les amarres alors que les «grands», ceux qui savent, lui proposent clés en main un destin déjà écrit, une trajectoire rectiligne, directe, sûre, incontestable, un truc du genre «Tu seras avocat mon fils». Un vieil homme a bord d’un vieux voilier va le guider vers ces horizons lointains. Mais encore faut-il que le temps, les éléments et la boussole du cœur s’alignent pour régater au près sur la carte des possibles qu’il faut bien déchiffrer.

Les pérégrinations du charmant petit Eliott sont à la fois belles et fascinantes et comme dans tout conte, elles nous invitent nous aussi à un grand voyage, plus introspectif qu’initiatique, parce que nous sommes censés ne plus être des enfants.
Mais la magie du conte, dont celui-ci, c’est bien sûr de nous renvoyer à cet enfant tapi, embusqué, enfoui au fond de nous. Avons-nous été fidèle aux espérances qu’ils nourrissait? Avons-nous beaucoup dévié de la route qu’il souhaitait prendre? Nous sommes-nous avec lui égaré en chemin? Avons-nous eu la force ou le courage de nous arrêter sur un itinéraire bien trop balisé? Avons-nous éprouvé l’envie ou le besoin de faire un pas de côté, de changer de cap? Bref avons-nous été en capacité de nous remettre en question?

Oui on dira que Chris Arro emprunte ce sillon fertile retourné avec talent par Saint-Exupéry et son «Petit Prince», mais il n’est surtout pas dans l’ornière de ce géant. Il est un écrivain bienveillant et subtil qui nous livre ce récit délicat mais rempli d’une énergie qui remue. Ce conte sait comment parler à l’enfant qui sommeille en nous. C’est une lecture qui réveille.

Avec «La plus petite île du monde» Chris Arro nous livre une belle histoire, joliment troussée et bien éditée. Sous son apparente simplicité, ce conte incite à prendre un doux recul. Il charrie avec délicatesse son lot de tendresse et de poésie pas si naïves que ça.

«La plus petite île du monde»
, par Chris Arro 152 pages, août 2024

Une phrase: «Et crois moi sur parole, mieux vaut parcourir le monde avec un «toi» que tu connais, qu’avec un «toi» que non seulement tu ne connais pas, mais qu’en plus tu essaies de fuir.»

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.