Ce «petit» livre d’Agnès Desarthe est très grand! C’est le petit bijou, l’humble perle de cette rentrée littéraire. C’est un livre exigeant, un récit ouvragé, architecturé comme une partition, ornementé comme un texte musical. C’est une composition aboutie en forme de conte de Noël qui ne cesse de tutoyer le drame, ou plutôt des drames, mais elle regorge tellement d’optimisme qu’elle finit par nous convaincre qu’il existe toujours au moins une raison d’espérer, que l’impossible peut arriver, que le bonheur, l’amour, la joie existent mais qu’il nous appartient de les cultiver, de les voir, d’y croire. Même s’il est ici question d’accident, de coma, de longue absence, de corde au coup et de souffrance.
Le propos, délicat et humain, s’inscrit dans le microcosme d’une harmonie municipale qui doit donner son traditionnel concert de la Nativité. Chaque musicien joue la partition de sa vie et devient aussi l’instrument du destin.
Sur cette base Agnès Desarthe a écrit un texte polyphonique et musical, rythmé par un leitmotiv rassurant qui dit «Rien ni personne ne mourait», mais qui, doloroso, annonce la couleur en signifiant que pour vivre, il faut aussi s’inspirer de Valentin le chat qui, tout au long du livre, «se mordait bravement la patte qu’il s’était coincé dans un piège à renard et dont il faudrait bien qu’il s’ampute, avec patience, sans dégoût, buvant à mesure le sang qu s’en écoulait et n’établissant pas de lien entre la douleur qui le faisait trembler d’un bout à l’autre de l’échine et les coups de dents qu’il infligeait à sa chair.»
Mais cela, tout cela et tout le reste, «ce n’est pas grave» ainsi que ne cesse de se le répéter la petite Sonya. Celle qui, avec sa mère, s’est greffée sur la vie du village. Solitaire, sans moyens, sans relation, la petite fille est devenue celle qui entendait tout, voyait tout et ne disait jamais rien. Dans ses carnets, elle notait tout, recoupait tout. Et elle a finit par faire qu’on lui disait souvent. Elle a été loin. Loin jusqu’à devenir une cheffe d’orchestre renommée qui, forte de son oreille absolue, vient se replonger, en dépit des discordances, dans l’harmonie de son enfance.
Qu’importe les méandres de la destinée, les coups du sort, les traquenards du destin, les chausse-trapes de la vie. Pour les musiciens de cette formation, pour ces hommes et ses femmes qui «respirent d’un même souffle» et s’accompagnent, la vie a des hauts et des bas, des dièses et des bémols, mais ils s’accordent sur un tempo humble, un legato vibrant qui adoucit leurs mœurs et nos cœurs. Ils sont en harmonie, reliés par les notes. Ils forment aussi un étonnant et poignant chœur silencieux qui porte la voix mélancolique de leurs âmes.
Dans le mouvement andante de petites vies minuscules mais jamais ridicules, Agnès Desarthe réalise une performance littéraire. Avec maestria, elle met la musique en mot, pour composer une mosaïque formidable d’humanité et fournit ici ses vitamines pour le bonheur.
«L’oreille absolue», Agnès Desarthe, Édition de l’Olivier, 144 pages, août 2025
Une phrase: «Il disait aux musiciens: « Faites-le pour moi » et il leur disait: «Faites-le pour vous. Faites-le pour la beauté, en réparation des soirées aigres et des matins gris, pour contrer la marée des souvenirs d’une enfance malheureuse ou la nostalgie d’une enfance lumineuse, faites-le pour oublier les douleurs, les deuils, les déceptions et les attentes.»