Divorce à la Nord-Coréenne

Bien qu’il ait été édité en français voici déjà neuf ans, ce livre n’a rien perdu de sa pertinence, de sa portée ni même de son actualité. Pourquoi? Car il nous provient d’un pays fermé sur lequel s’accumulent, parfois avec raison, les clichés, les a priori, les parti pris: la Corée du Nord.

Pourtant, oui, du côté de Pyongyang, il existe une littérature, ce qui peut nous sembler une grande surprise. Le fait de la traduire, de la découvrir, de l’apprécier aussi, bien qu’elle n’émane pas d’un auteur qui aurait rassuré tout le monde si l’on avait pu lui coller l’étiquette de «dissident» rend-il pour autant coupable de connivence avec le régime?

Et ce d’autant plus que la lecture de «Des amis», ne laisse pas indifférent ni ne donne mauvaise conscience. Si l’on doit parler de forme et de style Baek Nam-Ryong n’a rien à craindre. Traduite de façon exigeante par Patrick Maurus, spécialiste en littérature coréenne, l’expression est belle, souple, claire, délicate et envoûtante. Elle se met au service de personnages bien campés pour présenter une histoire de divorce au pays de la dynastie Kim. De plus, avant de devenir un «travailleur intellectuel», l’auteur est passé par la case du «travailleur prolétarien» et cette expérience nourrit son propos surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer l’activité en usine.

Dans une région montagneuse du pays, le juge ou «travailleur juridique», Jong Jin-Woo doit enquêter et statuer sur la séparation de la cantatrice Chai Soon-Hwi et du tourneur Ri Sok-Chun qui, derrière la façade du mariage, n’arrivent plus à synchroniser leurs «rythmes de vie». Entre expérience, paternalisme, bonté intrinsèque profonde et respect dû à la société organisée par le parti, le juge va agir tel un père de la Nation pour aplanir ces difficultés de couple, amener ses interlocuteurs à, comme dans un processus d’autocritique, ouvrir les yeux sur leurs vanités pour se remettre sur le droit chemin de la cohésion nationale. Et le différend qui perturbe le couple, va même servir au juge pour reconsidérer le lien qui l’unit à sa propre épouse, «travailleuse agricole».

Oui naturellement, malgré l’épisode dénonçant les abus d’un cadre de l’industrie qui valut quelques soucis à l’auteur, le livre n’est pas un brûlot contre le régime. Cependant, de façon subtile et opiniâtre, avec la force de ce que permet la plume, Baek Nam-Ryong écrit avec le cœur et pose les petits jalons critiques qui donnent son espace de liberté à l’écrivain et sans doute à ses lecteurs Nord-Coréens. Et même si la construction du socialisme réel n’est jamais bien loin, grâce au talent de l’auteur, elle n’écrase jamais la progression de cette histoire délicate. «Loin d’être perçue comme une limitation de l’expression littéraire, on y voit sa justification et sa dignité », notre d’ailleurs Patrick Maurus dans la préface.

Enfin, comme d’autres ouvrage en provenance de ce pays, «Des amis» ouvre des portes sur les âmes, les mentalités, la vie quotidienne, les rapports de couple et les schémas de pensée d’un peuple trop souvent ignoré derrière l’actualité consacrée aux comportement belliqueux des dirigeants. Enfin évoquer le divorce, son importance sociale, apporte aussi un éclairage singulier sur l’organisation de la société nord-coréenne.

«Des amis», par Baek Nam-Ryon, Édition Actes Sud, 244 pages.

Une phrase: «Les époux, après une longue absence, se regardèrent sans chercher à éviter leur regard. Un visage bourru et un visage triste. Leurs regards pleins de rancœur et de compréhension, de pardon et d’espoir se caressèrent le cœur».

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.