La vieille usine/Gardien de la nuit

Elle n’est pas triste la vieille usine
Toute imprégnée de sueur d’ouvrier
De lutte syndicale, de patronat décrié
Je la vois dans le silence des machines
Quand le feu de ma lampe troue la nuit
Et accroche la froideur du métal qui luit

Du métal qui luit
Métal qui luit

Toutes les poignées d’heures s’en aller
Faire la même tournée des petites clés
Pour nourrir la machine à pointer
Qui me suit partout comme un clébard
Qui sait mes absences et mes retards
Qui connaît mon pas dans les couloirs

Pas dans les couloirs
Dans les couloirs

Ici je n’ai aucun copain d’atelier
Pas non plus de collègue de bureau
Avec qui échanger quelques petits mots
Le noir ne me donne pas envie de parler
Je suis tout seul pour faire ce boulot
Toujours mes nuits croisent leurs journées

Croisent leurs journées
Leurs journées

En fait, il ne se passe jamais rien
De la nuit, du soir au lendemain
Rien qui vienne me faire peur
Pas de feu pour saisir l’extincteur
Juste le contrôle du directeur qui demande
Si tout va bien, si la mer est grande

Si la mer est grande
Mer est grande

Tôt le matin, je les vois tous arriver
La première équipe de la journée va pointer
Regards livides et allures de fantômes
Ils reviennent investir mon royaume
Reprendre en chœur le rythme, la cadence
Qui brisent l’épaisseur de mon silence

De mon silence
Mon silence

Toutes les aubes sont tristes à regarder
Elles n’ont rien de mieux à m’amener
Que cette multitude qui va bouger
Troubler mes heures de sommeil
Toute à sa joie d’être au soleil
Jour maudit, la nuit, mes merveilles

La nuit, mes merveilles
Mes merveilles

Photo: PhV

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.