Le devoir et la mémoire

Lire Marc Dugain reste toujours un plaisir. La narration est fluide, le style confortable. Il se dégage de ses livres quelque chose de rassurant. On se sait en territoire connu. La lecture de «L’insomnie des étoiles» ne vient pas infirmer ces bonnes dispositions envers un auteur qui peaufine des histoires toujours bien charpentées.

Ici, il délaisse les figures historiques qui viennent souvent habiter ses romans pour suivre le cheminement lent et déterminé du capitaine Louyre qui, avec sa compagnie, assume une autorité de transition dans un coin reculé de la zone d’occupation française en Allemagne, à l’automne 1945.
Louyre est un officier dont la large vue d’astronome – son métier au civil – s’accommode mal des contraintes chafouines du service commandé. Il n’empêche, en homme de devoir Louyre compte bien remplir la mission dont il à la charge même s’il se confronte à deux hostilités.

L’une est collective. C’est celle de la population du bourg où il cantonne. Dugain évoque avec finesse cette sourde inertie qui émane d’un peuple vaincu, hébété, orphelin des cadres stricts instaurés par le Reich. Entre défiance et hypocrisie des notables, l’officier se heurte ainsi à une conspiration du silence, aux remparts du non-dit qui cherchent à occulter la culpabilité complice de l’extermination des malades mentaux. Ils étaient enfermés dans cette institution, maintenant vide, dominant la ville et dont Louyre a dû forcer les portes comme on force une mémoire à se souvenir.

L’autre est individuelle et farouche Elle émane d’une adolescente découverte au hasard d’une patrouille. La jeune Maria, personnage pivot du roman, qui vit recluse dans une ferme à l’abandon espérant vainement le retour de son père recruté de force pour finir landwehr sur le front de l’Est tandis que sa mère dépressive, qui avait besoin de soins, a elle aussi disparue. De plus, Maria est le témoin d’un règlement de comptes entres policiers nazis qui va aussi la placer en situation délicate. Louyre noue une étrange relation avec cette sauvageonne qu’il finit par prendre sous son aile soulevant le malaise au village, la gêne de ses hommes et les doutes de sa hiérarchie.

Tout en maîtrise narrative et stylistique Marc Dugain offre un roman dense à la fois glaçant et étouffant, hanté par les crimes contre l’humanité. Il baigne dans une atmosphère pesante dominée par les personnalités sensibles de Louyre et de Maria.

On peut voir dans cette histoire le plus «claudelien» des romans de Marc Dugain qui nous invite quelque part entre «Les âmes grises» et le «Rapport Brodeck» sans qu’il soit question d’influence.

«L’insomnie des étoiles», Marc Dugain, Éditions Gallimard, 225 pages

Une phrase: «Il n’avait pas l’intention de se remettre de cette guerre, ni de l’enfouir dignement comme l’avaient fait ses parents, éponges silencieuses d’un siècle sans espoir. Il voulait toucher le fond, sans jamais se mentir, y patauger, se prétendre l’intime de l’insondable dans sa descente vertigineuse vers l’innommable dont un grand nombre croient s’affranchir par un mutisme salutaire.»

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.