Les Illuminati sont venus hanter notre imaginaire et notre histoire à la fin du XVIIIe siècle. Et depuis, ils sont responsables de tout. De la Révolution française, de la fin de l’Union soviétique ou de la défaite électorale de Donald Trump. Ils sont derrière les services secrets ou dirigent les jésuites. Leurs meneurs et leurs têtes pensantes occupent des places de pouvoir pour favoriser les leurs qui grenouillent dans l’ombre…
Ils sont «ils» ou «on», agglomérés, manœuvriers et mystérieux, élites agissantes masquées derrière l’agrégat impersonnel des pronoms pluriels et anonymes…
Mais d’où viennent-ils, ces soi-disant gens d’influence?
Eh bien tout est parti de Bavière lorsqu’un dénommé Adam Weishaupt, qui se faisait appeler «Spartacus», a créé en 1776 une sorte de de franc-maçonnerie inspirée des Lumières. Cette aventure occulte s’achève en 1785 lors d’un après-midi d’orage dans un presbytère protestant près de Ratisbonne. L’opinion publique découvre alors ce réseau souterrain qui est déclaré illégal et interdit par les autorités. Certains de ses membres sont arrêtés et les archives de la société secrète sont saisies. Fin de l’histoire?
Que nenni! Cette affaire est devenu le substrat, le terreau fertile, la matrice de toutes les théories du complot qui ont cours jusqu’à nos jours. L’idée que certains agissent dans l’ombre est aussi séduisante que fascinante d’autant qu’elle repose sur une indémontrable mais évidente capacité de dissimulation de ces conspirateurs qui rôdent autour de nous, prêts à pervertir ou anéantir les sociétés.
Historien, Pierre-Yves Beaurepaire montre comment certains – tel l’abbé Baruel- se sont emparés des Illumati de Bavière pour tordre l’affaire et l’interpréter dans le sens de ses opinions, de son idéologie contre-révolutionnaire. Pour expliquer ce phénomène qui s’étend désormais de la toile au rap, l’auteur a exploré de nouvelles sources qui vont des archives françaises volées par les nazis et rendues par les Russes qui les avaient confisquées en passant par la correspondance du sculpteur Bartholdi et d’autres plus spécialisées. L’ouvrage s’accompagne d’un sérieux appareil critique avec notes, annexes et bibliographie.
Il montre et démontre de façon rationnelle et précise comment, traversant les époques et les frontières, s’est développé un «gigantesque Meccano aux mises à jour fréquentes» qui a permis à l’affaire des «Illuminés de Bavière» d’ancrer à jamais le dispositif pervers que certains utilisent aujourd’hui pour justifier que la Terre est plate, que l’homme n’a pas marché sur la lune ou que la vaccination constitue le ticket d’entrée pour le contrôle de masse.
Une lecture aussi édifiante qu’instructive.
«Les Illuminati, de la société secrète aux théories du complot», Pierre-Yves Beaurepaire, Éditions Tallandier 346 pages
Une phrase: «Avec Internet, les rumeurs et les révélations se diffusent à l’échelle de la planète en quelques heures. Les spécificités nationales demeurent nombreuses mais une véritable culture complotiste transnationale 2.0 est née qui multiplie les emprunts croisés et prétend assurer partout une veille sur le front de la conspiration planétaire.»