Marcheurs et yogis à la fois

Quand un accompagnateur en montagne rencontre une enseignante de yoga pour un grand moment déconfiné.

C’est un rendez-vous qui mêlait vie intérieure et grand air quelque part entre Baudelaire et Patanjali. D’un côté, la poésie inspirée par le temple immense de cette nature généreuse et ses «vivants piliers» qui observent l’homme avec des «regards familiers» dans des correspondances mystérieuses et profondes. De l’autre, les préceptes, les yoga sutras d’un érudit indien qui dit simplement qu’«être établi dans la modération donne une bonne énergie de vie». Ainsi, il a été question d’ouverture et de méditation, de faune de flore, de marche et d’exercice, d’échanges et de réflexion au fil de cette journée organisée par Mathieu Hänni, Genevois basé à Genolier, futur accompagnateur en moyenne montagne et Isabelle Cueroni, professeure de yoga à Nyon.

Ils ont croisé leurs compétences et leur connaissances pour organiser une étonnante «rando-yoga» dans le Jura. De forêts communales en alpages, entre Le Vaud et Marchissy, une petite colonne de pratiquants a ainsi cheminé, chenille silencieuse et processionnaire. Ne se séparant jamais de sa longue vue sur trépied, Mathieu Hänni, qui fût aussi bûcheron dans une autre vie, fait partager ces connaissances au petit groupe. Une trille, un pépiement, un sifflement… il incite les marcheurs distinguer les chants qui émanent du récital forestier, comme on repérerait le son d’un instrument lors d’un concert.

Pouillot véloce et asana

Dans cette symphonie pastorale et naturelle, il donne des clés qui permettent de distinguer mésange charbonnière, rouge-gorge, pinson ou roitelet huppé. Il souligne aussi le chant particulier du pouillot véloce. Un oiseau de la canopée que les Vaudois surnomment le «compte-écu» car les notes invariables et métalliques de son chant ressemblent au son de pièces de monnaies jetées les unes sur les autres. «Je suis passionné par les oiseaux, leurs mœurs, leur anatomie, leur vie», explique-t-il sortant parfois un guide illustré de sa poche ou faisant réécouter un chant sur son téléphone pour que chacun puisse relier son et image.

Chez lui, le grand air c’est celui de la montagne. Il dit encore avoir été séduit par cette initiative car «elle propose un dialogue et un approfondissement de notre relation à nous même et à notre monde intérieur avec l’extérieur et la perception de notre environnement et de son énergie.»

Et quand il passe le témoin, C’est Isabelle Cueroni qui guide les participants vers ce recentrage intérieur qui reste connecté au monde. En effet, la bande-son est fournie par la gent ailée, le craquement des arbres ou le souffle du vent qui accompagnent les exercices de respiration. Chez cette enseignante, il n’y a de posture que dans l’asana. Dans ces positions, ces pinces, ces chiens tête en bas, ces équilibres, ces torsions qu’elle invite chacun à habiter dans les limites de son corps. Les yogis habitués le savent, ils prennent aussi des postures dites du guerrier. On en compte plusieurs, et elles sont faites pour amener la paix intérieure. Pour elle, «on est dans l’essence même du yoga, on respire en toute liberté, débarrassé des masques dans une nature en pleine explosion. Et comme on marche, la pratique repose sur des postures simples que l’on peut prendre tout en étant équipé pour la montagne».

Isabelle Cueroni s’est chargée d’animer les séquences yoga de ce rendez-vous au grand air.

Into the wild

Mathieu Hänni montre encore aux randonneurs les traces laissés par un cerf marquant son territoire sur un érable puis les nourritures intellectuelles et spirituelles laissent place aux terrestres qui ne sont pas à négliger pour autant. Au moment de tirer les casse-croûte du sac, l’accompagnateur décrypte la flore et expose les vertus des herbes tout en faisant goûter une jeune pousse d’égopode. Une plante de la famille du céleri qui se déguste en salade. Il propose aussi une tartine de son pesto à l’ail des ours accompagné d’un sirop de lierre terrestre. Des produits maison qu’il élabore au fil des saisons laissant entrevoir une chemin qui conduirait «Into the wild».

Et après une ultime marche digestive, un alpage dégagé sur le mont Blanc offre le cadre somptueux d’une méditation guidée par Isabelle sous la protection d’arbres qui oscillent dans le vent. Des érables, des épicéas et des sapins blancs décrits par Mathieu comme reliés au réseau naturel du «Wood Wide Web». Un moment de concentration, ici et maintenant. Assis en tailleur, les yeux fermés et débarrassés de leur chaussures de montagne, ils sont dans l’accueil, dans le présent, à la fois tournés vers eux-mêmes et engagés dans un grand exercice de reconnexion avec la nature et le monde en ce samedi après-midi sur la Terre.

Et, sur le point d’achever cette boucle de quelques 8 kilomètres, une participante attire l’attention du groupe. Majestueuses et légères, sept biches de cerf ont surgi du couvert pour s’arrêter un instant et passer, tranquilles, sur les lieux même de cette méditation finale, comme si elles avaient été attirées par cet énergie chargée de bienveillance afin d’offrir au groupe la beauté d’une émotion avec cette apparition inhabituelle à cette heure du jour…

Comme le note le sage Pantajali: «ne pas saisir et les joyaux apparaissent».

Le groupe était piloté par Mathieu Hänni qui a conçu cette marche en boucle à travers le Jura.

Pour Mathieu Hänni : www.peregrinatures.ch
Pour Isabelle Cueroni: www.yogapourtous-nyon.ch

Une balade jurassienne

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.