Mon ami le chibani…

On s’était trouvé par un des ces hasards
Que nous donne a vie quand on la laisse aller
Tu causais mal le français, je n’étais pas bavard
Mais ça ne nous a jamais empêché de parler

Mon ami le chibani
Je me demande si
Tu es rentré au pays

T’avais construit notre pain, mangé nous autoroutes
Passé les trente glorieuse à trimer sur les chantiers
La crise t’as enlevé le droit de gagner ta croûte
On te tutoyais mais tu n’avais plus de place dans la société

Mon ami le chibani
Je me demande si
Tu es rentré au pays

Je remplissais tes papiers pour le chômage, les impôts
On restait des tours d’horloge sans rien se dire
Tu m’offrais des cigarettes, je te payais des pots
On ne savait pas qu’il fallait s’attendre au pire

Mon ami le chibani
Je me demande si
Tu es rentré au pays

Je te lisais une lettre de ton fils resté à Sétif
Tu hochais la tête, soudain drôlement attentif
T’étais devenu pépé, il avait besoin d’argent
Il voulait te voir avant… que tu sois mourant

Mon ami le chibani
Je me demande si
Tu es rentré au pays

Puis un jour je t’ai trahi, mon ami le chibani
Je suis allé tenté le diable dans l’enfer de Paris
Là-bas aussi, des émigrés j’en ai croisé
Mais tu es le seul que je n’ai jamais rencontré

Mon ami le chibani
Je me demande si
Tu es rentré au pays

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.