Clo-Clone

Si je vous dis «Woaw!»  Vous me répondez, «je lis Podium», le roman de Yann Moix. Un ouvrage qui, dès le titre, plonge les initiés – et les autres – dans l’univers de Claude François. Fondateur de cette fameuse revue à sa gloire, le chanteur disparu hante les cœurs de ses fans. Eternel est Clo-Clo et Moix est son Messie…
Ce livre inventif, tragique et souriant se situe au-delà de la fusion qui relie le fan à l’idole. Son héros (hérault?) Bertrand Frédéric est un disciple habité par la réincarnation.
Coureur de karaokes, cachetonneur pour soirées d’entreprises du Loiret profond, Bernard Frédéric n’est pas un Clo-Clône comme les autres. Franc-tireur, il boude les orthodoxes du très sérieux Comité légal d’officialisation des clones et sosies de Claude François (CLOCLOS). Bernard Frédéric a peut-être des gènes «Claudiens», mais il porte en lui les germes du drame. Vers les 39 ans, les amis de Claude se posent des questions existentielles…
Avec son style enlevé, ses dialogues parfois drôles, ses annexes inventives, sa connaissance encyclopédique de la vie et de l’œuvre de l’idole qui se voyait en Mal aimé ; Yann Moix trousse un livre agréable et burlesque sur fond de «variétoche» et de culture populaire. Mais entre les lignes, le rimmel fond, les paillettes s’envolent, les lumières s’éteignent. Il y a un break dans la mélodie et la chanson de geste burlesque adopte un refrain désespéré. Yann Moix ne cesse de nous interroger sur l’identité. Il dépasse la prédiction d’Andy Warhol sur le quart d’heure de célébrité qui attend chacun. Aujourd’hui on ne se rend plus célèbre pour soi même, on reproduit la célébrité d’un autre. Dernière dérive d’un monde où le virtuel fait l’économie du réel, le sosie pose la question de l’incarnation et montre que ce désir de célébrité est l’ultime quête de notre époque. Le «je est l’autre» n’a définitivement plus rien de poétique. Pour bien saisir cette réalité, il ne faut pas regarder une télé pleine de sosies et de clones. Il faut lire Yann Moix en écoutant «Magnolias for ever», si possible sur un bon vieux vinyl qui craque, comme au temps de Clo-Clo le Vrai!

Une phrase: «Quand je croise un autre Claude François, je peux pas m’empêcher de penser que c’est surtout moi qu’il imite.»

«Podium», par Yann Moix, 400 pages, Editions Grasset.

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.