En une petite semaine entre Genève et Lausanne, Claudia et Bertrand s’engagent à fond, avec rage, sur l’autoroute de leur destin. Bertrand emprunte la voie montante qui le conduit directement vers la promotion et la limousine de fonction. Claudia a choisi la voie descendante, accélérant vers le trou noir d’un déchirant nihilisme. L’un comme l’autre n’ont ni voie de dégagement pour échapper à leur destinée, ni coussins protecteurs contre les secousses de la vie. Ces petits chocs accumulés au fil des années qui grossissent leurs fardeaux d’impuissances douloureuses, de renoncements quotidiens, de blessures intimes, de silences coupables, de non-dits tragiques… Etre ensemble se signifie pas forcément former un couple. Le temps s’est insinué dans les interstices de leur vie commune, il a transformé les lézardes en failles pour finir par faire voler en éclats la façade d’un de ces ménages que l’on connaît bien voire que l’on envie parce qu’ils ont sûrement tout pour être heureux. Avec une jubilation sardonique servie par un style fluide, Philip Rohr déroule cette histoire rugueuse comme un ruban de bitume, rageuse comme la frustration et saignante comme la vie. Bertrand passe de séminaires en réunions, oscille des faits divers aux indices boursiers. Il avance bercé par le prospectus publicitaire de la dernière Mercedes Classe E et sacrifie sans sourciller sa moustache aux valeurs «éthiques» de l’entreprise qui aspire son énergie. De bars en errances chaotiques Claudia qui a trop souffert d’être attachée, dégringole l’échelle des valeurs qu’elle s’était forcée d’épouser pour mieux se rassurer. Bâtie sur une alternance sobre et efficace des points de vue, l’histoire étrangle de sa violence sauvage, symbolique, rêvée et réelle, Bertrand et Claudia. Elle se noue autour du personnage de F .T . Teller. A la fois lointain et distant, il plane au-dessus des deux personnages en détenant un trousseau de clés qui ouvrent les portes de l’avenir ou font grincer celles du passé. Vie Sauvage est un roman à lire avidement, goulûment, intensément, d’une traite, d’un jet, à fond !
«Une prhase»: «Un mensonge parfait épousait son être de la tête aux pieds, jusque dans les moindres détails. Pour cacher ses blessures. Et pour continuer à mériter l’estime de ceux qui l’aimaient, à commencer par ses parents.»
«Vie sauvage», par Philip Rohr, 250 pages Editions Arléa