Quand Clarisse lance des SOS

Que fuit ou que cherche Clarisse Forner en tendant vers le dépouillement total qu’elle s’inflige à Paris, coupant peu à peu les ponts avec sa famille restée en Suisse? A Genève, son père perpétue une dynastie de banquiers privés. A Coppet, sa mère se complaît dans des rituels quotidiens qui ne sont que le maintien des apparences. Apparences de classe comme apparence physique… Dans un style d’une rare élégance, Catherine Guillebaud insinue quelques doses d’humanité là où les non-dits et les conventions font peser des fardeaux sur les familles. C’est seulement quand les faibles signaux irrégulièrement émis par Clarisse finissent par ressembler à des SOS que les siens prennent conscience du drame qui se noue. Tandis que Catherine Guillebaud se joue des apparences pour trousser joliment un roman dramatique et cruel. Côté Suisse, il fait lac. Les sentiments sont lisses et froids comme les eaux du Léman. Côté France, un courant violent, incontrôlable comme une pulsion entraîne Clarisse vers des eaux profondes. Plume alerte et mot juste, «Elle est partie» joue des ambiances et des univers pour happer le lecteur au cœur, pour le plonger tout vif dans cet abîme de perplexité que sont les relations familiales. Elle est partie parle de l’amour fil(l)ial en s’attachant aux creux abyssaux des carences affectives. Sans pathos mais avec sincérité, ce livre aborde ces trop-pleins et de ces trop-vides qui ne s’abouchent pas mais finissent par être le miroir d’une même béance, celle des sentiments que l’on a tus et qui nous tuent. Dans cette histoire où l’on s’échine à maintenir presque jusqu’au bout le cap des conventions, on s’observe plus que l’on se parle. Chacun devient peu à peu le témoin lucide et cruel de ses propres renoncements, de ses propres censures. Ainsi, les rares relations de Clarisse avec ses parents sont constamment médiatisées. Inquiet sur procuration, le fondé de pouvoir du père devient le préposé aux appels en PCV de Clarisse. La femme de chambre de la mère constate muette et lucide l’éloignement qui se creuse…

Une phrase: «Elle voudrait être une mère morte d’inquiétude, pleine de remords et de culpabilité

«Elle est partie», par Catherine Guillebaud, 173 pages, Editions du Seuil.

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.