Napoléon III apparaît bien souvent comme un mal aimé de l’histoire. Sans être un usurpateur, il semble en effet s’être glissé dans un costume trop grand pour cette stature de «Napoléon le petit», dont Victor Hugo voulait l’habiller pour l’hiver des temps. Raillé par Marx pour son 18 brumaire d’opérette, Badinguet (son surnom aux origines mystérieuses et controversées) a pourtant suscité pas mal de curiosité. Voici quelques années Louis Girard puis Philippe Séguin lui ont consacré des ouvrages significatifs. Dans la même veine que son monumental «Mussolini», l’historien Pierre Milza récidive aujourd’hui avec une biographie exigeante qui n’a rien d’une quelconque réhabilitation. Glissant progressivement de l’Empire autoritaire à l’Empire libéral, Napoléon III et son clan (Morny, Haussmann…) apparaissent comme les bâtisseurs d’une France moderne. Celle d’un pays qui rêve de concilier la puissance que lui apporte la révolution industrielle avec la gloire d’une place de choix sur la scène mondiale. Alors que sur le front intérieur, il tourne une page d’histoire qui fait entrer la France dans une ère de développement libéral, sa politique extérieure, un rien belliqueuse, va de Charybde en Sylla entre Camerone et Sedan. Pourtant, et c’est là un des nombreux intérêts de cette biographie, Pierre Milza dépasse ce cliché pour débusquer un pragmatique déjà épris de Realpolitk et surtout capable de succès, de la Crimée à l’Italie. L’Empire ne sera pas forcément la paix… Aventureux à l’extérieur, l’Empereur cherche aussi l’aventure à l’intérieur. Dans le corset d’une société bourgeoise, l’homme à ses «petites distractions» et ses frasques. Sur un air d’Offenbach, entre loge d’opéra et Jockey Club, le Second Empire marque une apogée de la vie parisienne. Mais cet homme d’Etat que Pierre Milza révèle encore comme l’inventeur d’une forme de populisme qui sera radicalisée par certaines idéologies du XXe siècle; s’inquiétera aussi du sort des classes populaires, ces classes laborieuses et dangereuses. Mais formé dans l’exil, l’ancien enfant d’Arenenberg et l’ancien cadet de l’école militaire de Thoune finira dans l’exil, ce destin insulaire des Bonaparte…
Une phrase: «Autant de traits qui ne sont pas sans rappeler le Second Empire, mais qui ne sont pas non plus éloignés du gaullisme, principalement dans la forme qu’il a prise après le premier retrait du général de Gaulle en 1946, sous la forme du RPF et de son adhésion à une formule de démocratie autoritaire à vocation sociale»
«Napoléon III», par Pierre Milza, 706 pages, Editions Perrin.