Quand un érudit hume le parfum de sang de la rue

Des chroniques anciennes aux médias d’aujourd’hui, il émerge du flot de l’actualité, fascine les foules et fait «vendre de la copie» comme on dit dans le métier. Mais est-ce parce que les Français «sont un peuple de badauds, un peuple de concierges» que le fort respectable professeur Louis Chevalier, titulaire d’une chaire au non moins respectable Collège de France s’est intéressé de façon si approfondie au fait divers? En tout cas les éditions Perrin viennent d’éditer cet essai établi à partir de notes déjà largement mises en cohérence par l’auteur, décédé en 2001, en vue d’un de ses cours. Sur un ton léger et accessible, cet érudit explore le développement du fait divers. Ni philosophe, ni sémiologue, ni psychanalyste, Louis Chevalier ne cherche pas à extraire du sens dans ce sang qui inonde les gazettes. Il montre la récurrence de certaines des ces histoires incroyables. Avec des références à Balzac bien sûr, Hugo, Sartre ou Camus, il éclaire la façon dont les écrivains s’emparent du fait divers pour transmuter sa substance en intrigue ou en décor romanesque. Il met en perspective le passage du «fait divers», à l’odeur de la rue, à «l’affaire» dont le parfum de scandale peut faire vaciller gouvernements ou régimes.

Pour cet analyste passionné, le fait divers concentre finalement une charge émotionnelle telle qu’il est, au-delà du mélodrame, le détonateur d’une époque. Dans la fin de la bande à Bonnot, on décèle ce «ciel d’orage des années d’avant 1914 (…) La charge électrique, la foudre, l’éclair qui donnent existence à une histoire de voyous». Le fait divers est aussi ce moteur de développement de la presse qui permet à de grandes signatures de porter «la plume dans la plaie». Albert Londres d’abord, mais aussi Mac Orlan ou Carco… Du «sublime, forcément sublime», ainsi que le ressentait Marguerite Du-ras sur les traces du petit Grégory… En refermant cet ouvrage, on a envie de se plonger dans Simenon, Malet ou les romans de gare d’André Héléna. De relire Dostoïevski, «De Sang Froid» de Truman Capote ou «Le Chant du bourreau» de Norman Mailer, car Chevalier le montre aussi, le crime et ses échos sont sans frontière.


Une phrase: «On réduit ainsi le journal à n’avoir ni conscience, ni doctrines, ni principes, à n’être qu’un recueil d’anecdotes graveleuses, de commérages venimeux et d’ineptes diffamations.»


«Splendeurs et misères du fait divers», Louis Chevalier, 160 pages, Editions Perrin.

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.