Avec «Seul dans Berlin», la plus horrible des dictatures fournit la substance d’un roman exceptionnel. Ce livre datant de 1947 pose très concrètement les questions de la résistance, de l’engagement et de la solidarité… Des principes qui sont à la base du combat contre les oppressions. Dans un tel contexte, le plus minime, des actes de résistance prend immédiatement un relief extraordinaire. A fortiori lorsque ces résistants transgressent, dès le mois de mai 1940, la ferveur nazie. Pourtant Anna et Otto Quangel ne représentent pas un grand péril pour la dictature. Bouleversés par la mort de leur fils unique, ils déposent au hasard dans des immeubles de Berlin, des cartes postales dénonçant le régime. De simples cartes postales qui éveillent davantage la peur que la conscience de leurs lecteurs. Cependant l’affront fait au régime est tel qu’il déclenche une implacable enquête policière. Une traque sans répit qui prend parfois une tournure kafkaïenne et saisit au vif la vie du petit peuple de Berlin à travers celle des habitants d’un immeuble modeste, 55 rue Jablonski. C’est là que vivent les Quangel. Sous le boisseau de la dictature, on plonge crûment dans un univers de misère et de terreur, d’élans sublimes et de vilenies abjectes. Persécutés repliés et persécuteurs triomphants se partagent les étages, survivent tant bien que mal et dévalent ensemble vers l’abîme. Sans fard, Hans Fallada décrit la vie quotidienne des flics et des travailleurs, des juifs et des nazis farouches et fait même vivre un des complices d’Hitler, l’ignominieux président du Tribunal du Peuple, Roland Freisler. «Seul dans Berlin» combine l’enquête policière et la construction théâtrale. La couleur locale se pare des teintes de l’histoire et le propos suscite la réflexion. Dans un style simple et réaliste, Hans Fallada (alias de Rudolf Ditzen) embrasse sans pathos les tragédies de la condition d’humain. Primo Levi, l’auteur de «Si c’est un homme», voyait dans ce livre considéré comme le chef-d’œuvre d’un écrivain populaire et engagé, «l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie».
Une phrase: «Je ne peux pas me croiser les bras en me contentant de dire: « Ce sont des salauds, mais ça ne me regarde pas. »»
«Seul dans Berlin» par Hans Fallada, 560 pages, Editions Denoël. Il s’agit ici d’un texte écrit lors de la parution du livre en 2002. Le livre a fait l’objet d’une nouvelle traduction et d’une édition intégrale en 2014.