Henri-Michel Yéré célèbre la poésie du nouchi

Le poète ivoirien et suisse vient de publier un recueil qui célèbre l’argot de la rue d’Abidjan et se veut aussi une ode à la plasticité des langues.

Par son élan, sa liberté formelle, sa profondeur et sa concision, l’écriture poétique recèle une magie fascinante qui incitent le cœur et l’âme à défricher en nous des espaces méconnus et infinis. Sous la plume d’Henri-Michel Yéré on peut même dire qu’elle ensorcelle, voire qu’elle maraboute en chantant de rage et de douleur, de simplicité et de couleur. Sans folklore et avec sincérité.
Cet auteur d’origine ivoirienne aujourd’hui installé à Bâle en propose en effet une expérience éditoriale créative, singulière et étonnante.

Il vient de sortir aux Édition d’en bas «Polo kouman, Polo parle», un court ouvrage de vers libres écrit en nouchi, argot de la rue abidjanaise apparu en 1970, et en français. Cette expérience qui consiste à coucher par écrit une langue parlée à fait de lui son propre traducteur pour trouver le meilleur écho de son verbe originel en français. Un sacré bilinguisme puisqu’il se situe au sein d’une même langue. Ainsi Henri-Michel Yéré met constamment en tension et en dialogue deux langues sœurs, matricielles, comme siamoises, et en appelle sans relâche à leur ductilité.

Dans ce travail, il se glisse autant de poétique que de politique. D’abord le propos libre, sauvage peut parfois devenir revendicatif. Et comme le souligne la préfacière Marina Skalova, Henri-Michel Yéré nous rappelle ainsi «une plasticité de la langue française que son surplomb de langue coloniale pourrait faire oublier.»


Un lien avec le pays
«J’ai grandi en Côte d’Ivoire et j’ai baigné dans ce langage qui associe, qui fond, une soixantaine de langues nationales, le français mais aussi l’espagnol, l’allemand ou l’anglais pour symboliser une culture ivoirienne dynamique», explique l’auteur.
En poète, il se dit soucieux d’entendre comment ce melting-pot linguistique sonne tout en véhiculant une culture populaire dont il a cherché à saisir l’impensé et la radicalité du discours. Cette langue ouverte à toutes les influences, en éternel mouvement, en glissement perpétuel, il s’en est emparée tout en sachant «que mon nouchi date un peu et qu’il est presque devenu celui d’une autre génération», glisse-t-il en souriant.

Ce travail représente aussi l’expression du lien qu’Henri-Michel Yéré entretien avec son pays et sa volonté de rendre à travers le nouchi un hommage à ceux qu’il considère comme les laissés-pour-compte du miracle ivoirien.

Le nouchi n’en est pas pour autant un langage oublié ou méprisé car il existe dans la musique ou des créations télévisuelles mais «je voulais le faire accéder à la littérature écrite et à la poésie, c’est-à-dire des lieux où la langue est aussi poussée à ses limites», explique-t-il.

Les poèmes saisissent des pans de vie, des souvenirs d’épreuves et la rage de vivre de Polo, qui, pour l’auteur devient ainsi «le héraut d’une jeunesse qui ramasse les morceaux du monde à sa portée pour en faire langue et affirmer la force de la parole combat et ainsi sa présence dans le monde».

Davantage qu’une traduction Henri-Michel Yéré parle «d’une création simultanée dans deux directions linguistiques distinctes, et cela au sein d’une même langue, la langue française».

«Polo parle Polo Kouman» Henri-Michel Yéré, 80 pages, Édition d’en bas

Bio express

Henri Michel Yéré est un poète ivoirien et suisse né en 1978 à Abidjan. Il a publié deux volumes de poésie: «Mil Neuf Cent Quatre Vingt-Dix» (Panafrika) et «La nuit était notre seule arme» (L’Harmattan), tous les deux parus en 2015. Les poèmes de Yéré ont été traduits en allemand et publiés sur le magazine en ligne «Stadtsprachen» (stadtsprachen.de/en/author/henri- michel-yere). Docteur en histoire contemporaine, Henri Michel Yéré a étudié en France, en Afrique du Sud et en Suisse. Il vit à Bâle, où il est enseignant- chercheur. Marié, il est le père de deux enfants.

©Stephan Holstein

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.