Dans son genre, ce solide ouvrage de 564 pages est assurément une somme. Spécialiste du conflit, historien de la guerre en Occident et «autopsieur» de champs de bataille, John Keegan propose ici une approche globale de la «Grande Guerre».
Un travail d’analyse et de synthèse qui s’affranchit des lieux communs et des présupposés pour restituer toute la dimension planétaire d’un conflit que, par exemple, les Français ont trop tendance à limiter à Verdun et les Anglais à la Somme.
En historien rigoureux, John Keegan sait bien que la guerre ne s’arrête pas aux champs de bataille et que l’événement ne prend du sens que lorsqu’on le réinsère dans la chaîne complexe de cette «longue durée» si chère à Fernand Braudel. De cette Belle Epoque qui meurt en même temps qu’un archiduc dans une rue de Sarajevo, John Keegan extrait le sang noir d’une Europe qui se suicide dans un immense potlach, précipitant le monde (fronts maritimes, d’Afrique, d’Orient, de l’Est…) dans cette ruine. Si le Vieux Continent sort de l’horreur ruiné et métamorphosé, c’est pour mieux favoriser l’incubation d’une réplique. Pilotée par des hommes sans génie lançant dans la creuset de la bataille de nouvelles armes (lance-flammes, tanks, avions, gaz…) la Première Guerre mondiale marque le passage au XXe siècle par la création de cette «industrie de la mort de masse qui a vu son rendement augmenter impitoyablement durant la Seconde». Car l’on ne peut considérer l’une sans penser à la suivante. Des armes aux options des états-majors, des sociétés aux soldats, John Keegan a su trouver le ton et les mots justes pour brosser un ouvrage rigoureux et sincère.
Ce conflit fit non seulement dix millions de victimes mais selon Keegan «il en traumatisa un plus grand nombre encore, et anéantit l’humanisme propre à la culture européenne.»
«Une phrase»: «Au final, la Première Guerre mondiale elle même est un mystère. Ses origines sont mystérieuses et son déroulement l’est tout autant.»
«La Première guerre mondiale», par John Keegan, 564 pages, Editions Perrin