Une relation au delà du bien et du mal

Question de mode? L’heure semble être à la littérature érotique ainsi qu’en témoignent les sorties récentes en Suisse de «Brûlure», de Cléa Carmin ou de «A deux doigts», de Yasmine Char. En marge de ces libertinages, l’auteure belge Caroline Lamarche plonge avec rudesse dans l’univers particulier de la relation sado-masochiste qu’elle avait déjà explorée dans «La nuit l’après-midi».
Dans un style économe et précis, décharné et parfois clinique mais aussi limpide et étrangement beau, elle épouse dans ces Carnets, le point de vue de La Renarde, (c’est ainsi que le maître a baptisé sa soumise). Et la narratrice prend un malin plaisir à ruser le jeu de la relation dominant-dominé. Ainsi qu’elle le confie sur son site internet «la relation domination-soumission me semble le terrain où s’exercent, de la manière la plus ouverte et la plus codifiée à la fois – donc la moins perverse – les jeux de pouvoir qui régissent tous les rapports humains». Dès lors, elle s’efforce de brouiller les frontières. En premier lieu, celle qui distingue l’érotisme de la pornographie mais aussi celle qui sépare la souffrance entre adultes consentants de la torture. Même si la relation de soumission est définie par contrat entre les partenaires. Les repères «sentimentaux» sont aussi bousculés puisque le rapport amoureux est constamment infiltré d’une trivialité quotidienne (manque d’argent, prises d’anti-dépresseur, boulimie de desserts…) qui banalise le sentiment. Dans la substance romanesque, on retrouve encore ce balancement avec des crissements d’étoffes et des ambiances à la «Histoire d’Ô» qui alternent avec des cryptes et des donjons sordides. Cette transgression vaut enfin pour la souffrance en elle-même puisque celle de la soumise renvoie très clairement à celle tout aussi muette des animaux, et qui sait, au martyr… Enfin au delà du contexte difficile de ce roman, Caroline Lamarche s’interroge et interpelle sur la recherche d’identité, sur la manière d’être un être en soi et un être à soi. C’est-à-dire d’être quelqu’un pour un maître et ses volontés, mais aussi d’être pleinement soi en s’abandonnant à regarder l’autre dans une relation de dépendance.

Une phrase: «Toute soumise a un nom qui n’appartient qu’à son maître. Renarde désormais sera mon nom. Quant à vous, parce que je suis punie, je dois omette votre prénom adoré et vous appeler Maître en public.»

«Carnets d’une soumise de province» par Caroline Lamarche, 208 pages, Editions Gallimard.

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.