L’écrivain et la personne forment un être complexe, indissociable, qu’il faut se coltiner d’un bloc, en admettant la difficulté, la contradiction. Pour moi, Jacques Perret relève de cette catégorie. Un tiers hussard, un tiers anar, un tiers goguenard!
Il a beaucoup écrit, beaucoup bourlingué aussi sans trop s’en vanter. Jacques Perret a davantage roulé sa bosse que les mécaniques, déroulé autant de câble qu’il a aligné de mots, vu autant de pays qu’il a aimé sa France et une certaine idée de sa France. Quand il le fallait, par devoir autant que par conviction, mû par un forte honnêteté intellectuelle mais en effectuant un pas de côté, il les a défendues fusil à l’épaule et carnets dans la besace, la tête et le cœur remplis d’ardentes convictions catholiques et royalistes. Avec son style châtié et exigeant, respectueux de la langue, toujours élégant, jamais dénué d’une pointe d’humour et tout aussi prompt à l’ironie, j’aime à retrouver chez Jacques Perret cette veine, au fond si française, qui mâtine l’érudition et la tradition. Entre un verbe à la Noël Roquevert et une présence à la Jacques Dufilho.
En effet, sa langue est de celle que l’on visite comme on le ferait chez ce défenseur de l’autel, d’une église de Bretagne. Les dehors sont austères et granitiques, le clocher va titiller le ciel au sommet de sa pointe effilée. Et dedans, on vient y respirer quelque chose de paisible et de rassurant, on y hume un parfum d’encens et on s’amuse d’y voir virevolter une galaxie de poussières dans la lumière oblique filtrée par les vitraux. Il y a chez cet auteur une forme de grâce céleste. Son verbe impose le respect et force l’admiration comme il peut aussi rassurer car il ignore le raccourci, méprise l’innovation formelle pour mieux captiver en s’arcboutant aux piliers du classicisme, un peu comme dans le très maîtrisé «Mutinerie à bord», inspiré d’une histoire vraie.
C’est sans doute paradoxal, mais je retrouve à travers les lignes de ce conservateur revendiqué, réactionnaire mais jamais «culotte de peau» bien qu’il prit les armes, quelque chose de l’école laïque et obligatoire qui ne fut peut-être pas la sienne. Cette école où enseigner était une conquête et ou les instituteurs étaient des hussards noirs de la République montant au front de l’instruction. Ce qu’il y peut y avoir de la «laïque» chez Perret ce sont cette grammaire sévère, cette conjugaison précise, ce vocabulaire soutenu et cette syntaxe blindée. Mais la qualité de l’expression ne saurait être une fin en soi si elle ne s’habitaient pas d’un supplément d’âme. Chez Perret, il y a même du rabiot!
Les mots résonnent, sonnent et sonnent juste. Qu’il évoque un ustensile désuet ou un instrument oublié (Ah cet exquis «Arrangement pour le théorbe»!) ou un homme debout, il démonte sa capacité à débusquer la vibration profonde des choses et des êtres avec la maîtrise d’un artisan patient et madré, maître de la doucine et orfèvre du polissoir.
Dans ces nombreuses et belles nouvelles comme celles du superbe recueil «Objets perdus», je devine un parfum suranné qui emmène chez Alphonse Daudet ou Anatole France. Dans un livre comme «Les Biffins de Gonesse», Jacques Perret me semble devenir plus que le contemporain, l’héritier de Maurice Genevoix avec qui il partage le thème de la Grande Guerre et une narration élégante. Enfin, d’une manière globale, son œuvre, son style et ses engagements, me donnent à penser que Jacques Perret préfigure, peut-être sans le vouloir, quelque chose de ces hussards qui chargeront plume au clair lors des Trente glorieuses.
Rimbaud a voulu donner des couleurs aux voyelles. Aux lettres de Perret, consonnes comprises, ne siéent que le bleu, le blanc et le rouge pour teinter sa prose. Lui qui fut «Caporal épinglé» a rejoint les maquis de l’Ain et défendu La France avant de défendre, par la plume, l’Algérie française. Un engagement qu’il paiera devant les tribunaux et qui relève d’une certaine vision de la place et de la grandeur de la nation, de la France éternelle sans doute.
Oui des résidus de Maurras ou de Péguy s’accrochent dans son propos mais pas grand chose de Déroulède. Pas d’esprit revanchard, de gloriole. Rien de cocardier, juste un sens aigu de l’engagement intègre qu’il nous rend avec assez de distanciation. Pour monter qu’il n’est pas dupe. Perret sait que le devoir des uns nourrira la gloire des autres. Il suffit de lire «Dans la musette du caporal», un recueil de textes restés longtemps inédits et parfois sombres pour deviner l’épaisseur de cet écrivain que l’oubli enveloppe comme des meubles dans une maison patrimoniale laissé à l’abandon.
Ainsi est Jacques Perret. Un tiers hussard, un tiers anar, un tiers goguenard, un tiers bonnard.
Mais ça dépend de la grosseur des tiers!
Photo: Editions Le Dilettante