Tous ceux qui conservent la blessure intime, le souvenir cuisant et la nostalgie honteuse de l’époque douloureuse où ils marinaient, macéraient, rancissaient en plein complexe du homard apprécieront ce grand roman des adolescents attardés. Gavé de télé, son gros corps engoncé dans une conception toute personnelle de l’habillement, prisonnier d’ambitions utopiques, Ignatius J. Reilly ne vit pas dans le même monde que vous, que moi, que sa mère… Imaginez une espèce de Tanguy monstrueux, trash et boulimique qui s’attarderait au domicile familial névrosant sa propre mère et terrorisant une galerie quasi fellinienne de personnages étranges et attachants dans une Nouvelle-Orléans latine et nonchalante. Imaginez encore ce demi-fou en vendeur de saucisse ambulant ou en employé brindezingue dynamitant les routines d’une entreprise sclérosée. Dans cette quête tourmentée et burlesque, seule une fille de caractère pouvait faire sortir ce balourd de sa coquille, de sa carapace, le plonger tout vif dans les bouillonnements de la vie et le transformer en homme. Ainsi à travers la maladresse rugueuse, l’inadaptation sociale profonde et les blocages physiques d’Ignatius, John Kennedy Toole tricote un conte épique et brosse un roman d’initiation magnifique et unique*.
Philippe Villard
Une Phrase: «Ma paranoïa se développerait-elle hors de toute proportion, demanda Ignatius au petit attroupement, ou est-ce bien à moi et de moi que vous parlez, bandes de mongoliens?»
«La Conjuration des imbéciles», John Kennedy Toole, collection Pavillons, 403 pages, Editions Robert Laffont, 1981