Voici un livre qui tente de réparer en mettant des mots sur un silence littéraire d’une quarantaine d’années, celui d’André Schwarz-Bart. On connaît l’histoire, le drame de sa vie. Juif d’origine polonaise, entré dans la résistance à 15 ans et seul rescapé de sa famille, il «tombe» en littérature après la guerre. Il décroche le Prix Goncourt 1959 pour «Le dernier des Justes». Et après avoir rencontré son amour et son épouse, la Guadeloupéenne Simone, ils entreprennent à deux plumes un travail littéraire de grande ampleur, une sorte de fresque, qui se propose de croiser, de métisser, l’holocauste et l’esclavagisme dans un élan d’amour universel. Ce qui ressemble au projet d’une vie pour ce couple d’écrivains se solde par une déluge de critiques après la publication de «Un plat de porc aux bananes vertes». La querelle qui s’ensuit traduit un affrontement aussi bien mémoriel que communautaire. André Schwarz-Bart choisit de se taire. Il ne publiera plus. Simone continuera sa carrière tout en s’efforçant de faire vivre l’œuvre de son époux disparu en 2006. Car ce dernier n’a jamais cessé d’écrire, de noter, de nourrir un travail parfois fragmentaire et désordonné dans lequel il a fallu se replonger.
Dans ce livre luxuriant comme une mangrove, Simone Schwarz-Bart retrace – avec le concours amical du journaliste Yann Plougastel – le parcours de deux êtres. Elle parle de ce qui sédimente leur union amoureuse, intellectuelle et créatrice. Elle évoque aussi leur étape en Suisse, à Lausanne d’abord puis à Pully où ils emménagent au chemin du Fau-Blanc, une adresse qui les a bien fait rire… De conversations en anecdotes, d’échanges en souvenirs, le propos virevolte dans le temps et dessine en totale liberté le monde ouvert et généreux de ce couple séduisant, fascinant. À la fois roman familial et livre d’amour, biographie et essai, cet ouvrage se dévore et incite à relire les écrits de ce juif solitaire et de cette fière métisse.
«Nous n’avons pas vu passer les jours», Yann Plougastel et Simone Schwarz-Bart, Éditions Grasset 208 pages
Une phrase: «Désormais, le petit Juif appartient à la réalité antillaise et tout le monde le reconnaît. Je suis contente d’être là pour vivre à sa place cette reconnaissance, cette joie, cette appropriation. Je suis heureuse, hélas! par substitution, et fière de notre travail commun.»