Une dimension «Grégoryenne»

Par son ampleur, son atrocité, son mystère, par ses rebondissements mais aussi par l’impossibilité ou l’incapacité des enquêteurs à clore le dossier, et sans doute pour d’autres raisons mystérieuses, «alchimiques», qui ont à voir avec l’époque et la société, il arrive qu’un fait divers atteigne une «dimension Grégoryenne».

Depuis 1984 déjà, l’affaire du petit Grégory – qui serait aujourd’hui quadragénaire – nous en effet a habitué à cet opéra furieux et infini qui se transforme en un lamento lugubre psalmodié à outrance puis épisodiquement, de médias en comptoirs, à la faveur d’un rebondissement à la valeur de breaking news. Il se joue et se surjoue autour des ces «grands» faits divers quelque chose d’impalpable, d’irréel qui sidère et dérange tout en exerçant la fascination morbide du trou noir où viennent se déverser, dans les ténèbres des drames familiaux de ceux qui sont passés à l’acte, la lie de nos non-dits.

Dans leur enquête palpitante et fouillée Pierre Boisson, Maxime Chamoux, Sylvain Gouverneur et Thibault Raisse partent ainsi sur la piste de Xavier Dupont de Ligonnès, XDDL comme l’étiquettent ces journalistes du magazine «Society».

L’affaire a éclaté au mois d’avril 2011. Elle ressort incontestablement de cette catégorie de faits divers XXL par sa propre dramaturgie comme par sa manière de «prendre» quelque chose à d’autres affaires qui ont défrayé la chronique car XDDL est soupçonné des meurtres de sa femme, de ses quatre enfants et de l’élimination des chiens.

Dans l’affaire de la Vologne, l’absence de coupable laisse une porte béante sur toute les supputations. Tout comme l’évaporation désarçonnante et mystérieuse de XDDL à partir du moment où il est sorti du camp des caméras de surveillance du parking d’un hôtel, dans le midi de la France. Un évanouissement sur lequel il est impossible de formuler une hypothèse.

Dans les courriels qu’il a envoyé avant le crime, il argue d’une intervention de l’administration américaine dans le cadre d’un programme de protection des témoins liés à des affaires de trafic de stupéfiants. Ces affabulations renvoient au continuum de mensonges élaboré par Jean-Claude Romand – qui lui aussi aura éliminé sa famille – pour noyer l’échec de sa vie.

Ce travail précis et factuel sait aussi prendre de la hauteur et peut suggérer d’autres motivations. Elles apparaissent de nature plus «simenoniennes» en s’inscrivant dans les méandres de l’histoire familiale, entre origines, repli sectaire, mysticisme, rapport au père et sexualité.
C’est peut-être dans ce cadre, justement à la mort du père en janvier 2011, que plus ou moins consciemment s’enracine la préméditation du spectaculaire passage à l’acte. C’est à ce moment que XDDL récupère la carabine 22 long rifle qui deviendra l’arme du crime.

Il s’y ajoute, un peu comme chez Jean-Claude Romand, la quête continue d’argent que ce soit pour assurer un train de vie ou nourrir de filandreux projets entrepreneuriaux. Enfin, la dimension narcissique. Non seulement Xavier Dupont de Ligonnès donne dans la cavalerie mais semble dans l’incapacité de composer avec son échec. Et, au bord du gouffre, il parvient encore à soutirer de l’argent à d’ancienne maîtresses pour se payer du bon temps et de la bonne chère dans des établissements de luxe.

L’enquête consacre aussi une place très éclairante aux amis de XDDL. Des hommes, fasciné pour l’un ou amoureux transi pour l’autre, par le charisme du meurtrier mais aussi des proches s’en voulant de n’avoir pas pu «sauver» au moins l’un des enfants.

Les policiers ont tenté de tout faire parler ou presque. Les relations, les ordinateurs, les images, les bornages téléphoniques, les cartes de crédit, les factures et les porte-monnaie. Mais depuis dix ans, la clé de l’énigme continue de leur échapper.

Oui l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès semble partie pour durer aussi longtemps que celle de Lépanges-sur-Vologne. Le mystère de leur résolution semble reposer sur un hasard, sur un miracle. La découverte d’un cueilleur de champignon, une coïncidence liée à un autre dossier, un aveu murmuré sur un lit de mort… Allez savoir.

«Xavier Dupont de Ligonnès, l’enquête», par Pierre Boisson, Maxime Chamoux, Sylvain Gouverneur et Thibault Raisse, 173 pages, coédition so lonely – Marabout

Une phrase: «Ça s’appelle un cauchemar, ou ça s’appelle un fait divers: l’assassin fait toujours d’autres victimes que les morts.»

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.