Une cavale d'Audiard

Des petits français malins et baiseurs, des gros cons brocardés et aussi des vélos… Il y a tout Audiard dans ce roman aux apparences délurées et joyeuses qui se taille une route picaresque sur les chemins de l’Exode. Et pour les poulbots échappés des combines et des usines, des baloches et des zincs de la petite ceinture, ce n’est pas parce que le canon tonne qu’il faut oublier de tirer un coup. En ce mois de juin 1940 où la France palpite au rythme d’un gibier traqué, les sensibilités et les sensualités remontent à fleur de peau et de fesses. Les coups de jarrets et les coups de reins se suivent au rythme d’un style qui ne déraille jamais. Ça gouaille le Paname d’avant, ça crache le parigot d’autrefois, ça cause la rue de naguère, mais entre les lignes percent le sarcasme, l’ironie et le persiflage. Dans cette intrication du roman et du souvenir, de l’anecdote et de la réflexion, de la fiction et de la biographie, se combine l’univers d’Audiard fait de provoc’ et de mélancolie, de railleries et de tendresse. Cette alchimie joyeuse et instable, ce cocktail suave et détonant se déguste comme un prélude, se savoure comme une jouissance et questionne comme la culpabilité. Le fiel n’est jamais loin du miel quand le plaisir trahit la souffrance ; quand l’on court après la vie en oubliant une jeunesse qui grimace dans ces saignements de l’Histoire qui, eux aussi, tuent l’innocence.

Une phrase: «A rouler le boche, les épicemards et les ploucs se sont régalés si peu, ont tellement pas empilé d’oseille dans leurs boîtes à biscuits et leurs lessiveuses, qu’à la Libé, il a fallu changer la monnaie. Une paille!»

«Le Petit cheval de retour», Michel Audiard, 250 pages, Editions Julliard, 1975

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.