Ceci était la Guerre froide

Voilà un livre dont on sait quasi tout entre le quatrième de couverture et le premier chapitre. Pourtant, rien n’empêche d’en achever la lecture et d’en maintenir le suspens. Ce pourrait être une fiction de John le Carré, pourtant, c’est une histoire aussi véridique qu’incroyable. Cette plongée dans le monde du renseignement et de l’espionnage, entre taupes et agents provocateurs, entre paranoïa, mensonge et double jeu est aussi une exploration vertigineuse du passé.

En effet, cet ouvrage qui explore de façon très incarnée les arcanes de la guerre froide donne à penser «ceci a été», ainsi que le disait Roland Barthes à propos de la photographie.

Classe contre classe, bloc contre bloc, tensions idéologiques et courses aux armements… ce livre fige le temps en évoquant bien des aspects de l’affrontement moral et économique qui a sous-tendu la marche du monde pendant une cinquantaine d’années.

Brillant agent du KGB, Oleg Gordievsky, présente suffisamment de garanties professionnelles et une biographie aptes à justifier des missions à l’étranger. Mais derrière sa façade de bon communiste, le jeune officier prometteur a déjà perçu toutes les faiblesses, les failles et le vices d’un régime sclérosé. Il doute de son engagement et c’est par conviction et non par vénalité qu’il choisi de devenir un agent double. Grâce à lui des réseaux actifs ou dormants sont identifiés et contrôlés de manière à ne pas le trahir. Mais plus que de secrets militaires ou des secrets d’État, Gordievsky va, à sa façon, peser sur le cours de l’Histoire en éclairant l’Occident, d’abord les Anglais puis peu à peu tout les alliés, sur la mentalité soviétique. Grâce à lui, avant des rencontres au sommet, certains dirigeants seront comme «dans la tête» des maître de l’URSS et pourront anticiper certains comportements, pousser leurs avantages, tenir ferment des positions diplomatiques ou stratégiques ou lâcher du lest.

Jalousement protégé par le MI 5, Oleg Gordievsky sera pourtant trahi car entre service secrets la compétition est de mise. Il faut toujours savoir ce que l’autre sait tout en sachant qu’il ne le sait pas. Une engrenage fatal qui mettra le maître espion en danger. Devenue proie du KGB, il faudra l’exfiltrer selon un scénario rocambolesque dont certains aspects pourraient être dignes d’une comédie.

Enfin, puisque ce livre nous parle d’un temps qui n’est plus, il apparaît tout aussi saisissant de constater qu’échanges d’informations, quête de renseignements et opérations spéciales se montent à une époque où règne encore l’analogique. Où donner le moindre coup de fil est déjà en soi une aventure…

Une phrase: «Reagan et Thatcher avaient appréhendé la Guerre froide en termes de menace communiste envers une démocratie pacifique occidentale. Grâce à Gordievsky, ils se rendaient désormais compte que l’angoisse des Russes représentait un danger plus grand que l’agression.»

«L’espion et le traître», Ben MacIntyre, 409 pages, Éditions de Fallois

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.