Partir en guerre à quatorze ans

Okinawa mars 1945. L’armée américaine débarque, les forces japonaises résistent. Un classique de la guerre du Pacifique. Oui mais la guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes. La société militarisée japonaise encadre les enfants, les endoctrine pour les jeter vifs et innocents dans le creuset de la bataille. C’est ce qui arrive au jeune Shinichi Higa, enrôlé à 14 ans dans une improbable bataillon «Fer et Sang pour l’Empereur» constitué des élèves de son école secondaire.

Il réussit à obtenir un fusil en plus des trois grenades de son paquetage et nourrit l’ambition de tuer aux moins dix Américains avant de succomber. Mais la guerre qu’il idéalise et qu’il rêve de mener pour rejeter l’ennemi à la mer et forcer la victoire finale n’a rien à voir avec celle qu’il vit.

Les bombardements incessants d’une aviation qui dispose de la maîtrise des airs, le feu roulant des chars tout comme le pilonnage et le marmitage opérés par l’artillerie des forces navales, labourent sa terre natale et son paysage intérieur. Le gamin qui rêve d’héroïsme, de sacrifice suprême et ne désire rien d’autre que la mort encaisse les gifles des sous-officiers et doit se résoudre à porter des messages d’une position à l’autre ou escorter des convois de blessés.

Au rouleau compresseur américain s’oppose le dénuement matériel d’une armée sur la défensive. Sous la pluie, dans la boue, terrée dans des grottes ou tapie dans des tranchées, elle résiste grâce à l’idéologie et au mépris de la mort. Et pour les hommes qui tiennent cet ultime rempart avant le Japon, il faut bien quelque chose comme ce fanatisme pour subir sans lâcher les mutilations, les blessures purulentes et infestées d’asticots. Ces horreurs deviennent le quotidien du garçon. Tout en passant entre les balles, en échappant aux blindés ou en se dissimulant aux chasseurs, Shinichi Higa se transforme peu à peu en un témoin distancié d’une abjection qui n’épargne pas non plus les civils ou les plus jeunes que lui. Selon son point de vue et le système de valeurs qui lui a été inculqué, il considère même qu’il joue de malchance.

La brève histoire de Shinichi Higa traverse 80 jours d’une campagne terrible et Akira Yoshimura conte son errance sur le champ de bataille avec une sobriété qui confine presque au détachement, contribuant ainsi, sans effet, sans boursouflure, à en rendre toute l’intensité et toute la cruauté dans un récit initiatique d’une violence froide qui livre le garçon nu, comme un nouveau né mais accouché dans l’horreur, à l’aube d’une vie nouvelle et incertaine.

Une phrase: «Il se souvint de l’avion de chasse qu’il avait vu disparaître derrière des nuages garance. Depuis que l’île s’était transformée en un champ de bataille, il avait envisagé sa mort comme l’ombre solitaire du petit avion, un petit point dans le soleil couchant. La patrie était tout pour lui, et il était prêt à sacrifier sa vie pour elle.»

«Mourir pour la patrie», par Akira Yoshimura, 173 pages, Editions Actes Sud

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.