Trois minutes et demie avec Peter Nádas

Géant des lettres hongroises, auteur notamment du fractal et monumental «Histoires parallèles», Peter Nádas cultive avec talent l’art de dérouter et de capturer ses lecteurs. Dans «La mort seul à seul», ouvrage court que viennent de rééditer les éditions Noir sur Blanc, il explore avec méticulosité et profondeur le malaise cardiaque dont il a été victime avec, en guise d’acmé, ces 3,5 minutes où il est «parti» puis «revenu» à lui et à nous aussi.

Il transforme ainsi l’expérience de mort imminente en une expérience littéraire totale et dense qui conjugue l’écriture bien sûr mais aussi l’introspection, la philosophie et la psychanalyse.
Peter Nadas parvient ainsi avec fluidité et non sans humour à transmuter cet épisode individuel en histoire universelle et à questionner ainsi l’essence de la vie, l’animus comme l’anima.

Alors qu’il est encore un quinquagénaire solide mais fumeur invétéré, Peter Nádas sent émerger en lui, dans les rue de Budapest, les signaux annonciateurs de l’infarctus. L’attaque et ses conséquences sont racontées avec une précision presque chirurgicale.

Quand il sent le malaise s’insinuer puis s’installer, alors qu’il en traverse justement une majeure, il est singulier de constater qu’il est obnubilé par des «épreuves» à corriger, un peu comme si l’obsession du dernier chapitre, du point final, prenait le pas sur toute autre obligation, à ce moment si spécial où les prémisses du trépas infiltrent le corps et l’esprit pour aller, selon lui, dans l’au-delà de la «pensée conceptuelle».

Dans l’exploration de ce trauma, l’auteur devient un funambule qui s’accroche au fil de la vie dans le franchissement délicat de son propre Styx. En accomplissant cet exercice extraordinaire, il prend de la hauteur et de la distance avec lui-même. L’exploration de la pensée devient finalement une sorte d’observation clinique car la lumière qui le ramène à la vie est aussi celle d’une (re)naissance. Elle (re)devient en effet, par une sorte de très grande régression, celle du passage par cette «blessure» d’où nous venons tous. ainsi que l’a chantée Léo Ferré,

Presque vingt ans après sa première parution en français, ce livre n’a rien perdu de de sa pertinence, de son actualité, de son intensité ni de sa belle complexité dans la tranquille simplicité du bonheur de vivre.

«La mort seul à seul», Peter Nádas, Éditions Noir sur Blanc, 128 pages.

Une phrase: «Plusieurs millions d’années s’étaient en tout cas écoulés aux cours de ces trois minutes et demie là. La création s’opère quand naissance et mort se rejoignent.»

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.