Si vous n’avez pas lu ce livre après l’élection présidentielle de 2022, l’espace politique ouvert avec la dissolution de l’Assemblée nationale française et des législatives qui en découlent devrait vous y inciter. En effet, dans ce roman bien nommé, il n’est question que de pouvoir. Pouvoir à conquérir et pouvoir de fascination qui sont au cœur du pouvoir que l’on veut exercer et du pouvoir que l’on prête aux élus, parfois avant même qu’il ne s’en emparent.
Philippe Testa a sorti cet ouvrage à la fin de l’année 2022 et l’ambitieux politicien qui est le moteur de la narration semble tenir un peu d’Emmanuel Macron dans la dimension égotique et un peu plus d’Eric Zemmour dans le narratif qui passe tout au prisme des rapports de force. Il pourrait aussi s’inspirer de Donald Trump dans sa manière de détourner les soupçons ou de retourner les arguments et d’avancer des «vérités alternatives» quand quelque chose vient à tourner mal pour lui.
En tout cas, il ressort de cette catégorie que la classe médiatique présente de façon à la fois convenue et respectueuse comme un «animal» politique. Un grand fauve, un prédateur, un manipulateur d’hommes, de foules et de consciences tendu vers un seul but et pour lequel il est prêt à tout sacrifier et à ne rien donner.
«Il», mystérieux pour le lecteur mais adulé de ses potentiels électeurs «est là pour le peuple. Je suis tenu de l’incarner. Il me pousse en avant et je lui offre un visage et un corps».
C’est là un travers bien français que de se laisser tenter ou abuser par l’envergure réelle ou supposée de l’homme providentiel, entre césarisme et bonapartisme, entre boulangisme et pétainisme, entre mitterrandisme et gaullisme, entre imposture et réalité.
«Il» a créé un parti, un mouvement, une organisation intitulée «Vers l’Avant» et croit avoir rendez-vous avec la France. La France qu’il courtise en démagogue et veut entortiller en populiste. Et cette France désenchantée et désorientée, prête peut-être à se donner se trouve plus ou moins symbolisée par deux personnages aux antipodes.
L’un, s’appelle Michel Legrand, mais il a une toute petite vie qui est plutôt en voie de décomposition. Il travaille chez Milkit en banlieue parisienne. Symboliquement, dans sa vie intime, privée comme dans sa vie professionnelle, il est dans le yaourt. Menacé par un plan de licenciement, il représente cette France soumise qu’«il» travaille au corps, qu’il veut rallier à son panache à la couleur indéfinissable mais sombre. Une France anesthésiée qu’il veut réveiller, stimuler, orienter, organiser, manipuler bien sûr. Et cet ouvrier de base va, s’en s’en rendre de compte, à l’insu de son plein gré, s’engluer dans la toile d’araignée de «Vers l’Avant».
L’autre, c’est Alban Morvan. Écrivain bobo en perte de vitesse, écartelé entre son goût pour les vins suisses, son ex-femme et sa fille adolescente. Choisi?, élu?, nommé?, désigné? voulu?, par l’homme de «Vers l’Avant» pour écrire, en «insider», en «embeded», le livre de la campagne triomphale qui s’esquisse, ce traditionnel «coup» éditorial qui accompagne l’élection du vainqueur. Si Morvan et son éditeur voient dans cette opportunité une occasion de rebondir, ils se rendront compte très vite que la règle du jeu les dépasse. Que les vérités déjà pas bonnes à dire sont impossibles à écrire.
L’intrication de ces destins sert jusqu’à la fin, d’armature à un récit prenant au style sobre et efficace. Parfois un peu démonstratif. C’est pour Philippe Testa l’occasion de prendre sans jamais le lâcher son lecteur par la main au long d’un cheminement instructif dans le labyrinthe obscur et compliqué qui conduit au pouvoir. Car c’est aussi dans l’ombre, derrière le rideau, en coulisses que se tient le pouvoir. Car, c’est sans doute là sa tragédie, on n’en perçoit souvent que la sinistre comédie.
Même si une législative n’est pas une présidentielle, si élire des groupe politiques n’est pas faire converger par l’onction du suffrage universel un homme, un destin et un pays, cette analyse du pouvoir et de la politique ont quelque chose d’une éternelle actualité.
«Pouvoir», par Philippe Testa, édition d’en bas, 214 pages
Une phrase: «Comme toujours, je suis sidéré par la logorrhée des internautes, leurs jugements et leur haine. Après avoir passé une cinquantaine d’années en toute passivité face à l’écran de leur télévision, après avoir tout avalé et tout cru, il est temps pour les hommes de rattraper le temps perdu et de s’exprimer quitte à aligner les conneries les plus ineptes, dans une belle orgie de premier degré, d’anonymat et de lâcheté puisque ne pas voir le visage de la personne sur qui on vomit permet de faire l’économie d’une civilité élémentaire. Cela me parait accentué par le fait que Vers l’Avant encourage les honnêtes citoyens à exprimer leur préjugés et à extérioriser leurs instincts et à laisser libre cours à toutes leurs rancœurs, à libérer les colères et les haines.»