Un livre qui sent la poudre

À l’heure des bavures policières, des tueries de masse et autres conflits qui ensanglantent la planète, ce livre est de ceux qui font mouche en tirant vraiment dans tous les coins! Cet ouvrage qui -mais oui!- se lit aussi aisément qu’un roman relève aussi bien de l’enquête journalistique fouillée que de l’essai qui donne à réfléchir sur le rapport que l’humanité dans sa globalité comme dans ses individualités entretient avec les armes à feu.

Ex-grand reporter à l’expérience fournie, Iain Overton explore méthodiquement le monde des armes, du Nicaragua à l’Islande, de l’Afrique du Sud aux États-Unis, de l’Irak au Cambodge. Il passe des services d’urgence aux morgues, côtoie les policiers, les militaires, les amateurs de tir sportif, les chasseurs -traquant même du gibier dans le veldt-, et les collectionneurs. Il s’efforce de comprendre les fabricants, les marchands, les contrebandiers, les lobbies qui soutiennent une gigantesque industrie au service de la violence légitime mais aussi de la mort violente.

Les statistiques qui ressortent de ce travail qui date déjà de 2015 donnent aussi le tournis. Plus d’un milliard d’armes sont en circulation sur le marché mondial et on produit annuellement douze milliards de projectiles. Quant au nombre de victimes par balles, il se montait alors à 500’000 personnes.

Il y a dans ce livre une foule de données objectives étayées par un appareil critique important qui permet l’approfondissement et le fact-checking de ce qu’avance l’auteur. Elles font écho aux propres expériences et rencontres, parfois ratées, qui expriment l’engagement du journaliste dans sa démarche. Elles révèlent ainsi une industrie privée des armes aussi profitable qu’opaque et qu’aucun lanceur d’alerte n’a jamais mis sur le devant de la scène.

Enfin, de remontées du terrain en statistiques, ce livre souligne aussi que les armes sont avant tout une affaire d’hommes mais que les femmes sont souvent les victimes d’un «produit» doublement mondialisé. En effet si les États produisent et cherchent plus ou moins hypocritement – car certains traités ne sont jamais ratifiés-, à contrôler le commerce des armes, la contrebande, la contrefaçon et les trafics viennent brouiller les cartes tout en contribuant largement à la circulation et à la prolifération des armes.

J’ai parcouru cet ouvrage détaillé et instructif, à la fois monumental et fluide en ayant en arrière-plan un autre objet textuel aux contours moins marqués mais tout aussi marquant. Il s’agit du pavé de William Vollmann: «Le Livre des violences»*. Assez gonzo dans ses productions non-fiction qui mixent nouveau journalisme, littérature et réflexion, l’auteur a, en son temps, nourri la polémique sur la question de l’autodéfense et du port d’arme.

Sans armes en effet, il n’est ni conquête ni défense. Où sont les limites de l’agression et de la dissuasion? À l’issue de cette grande exploration, Iain Overton ne fait finalement que nous poser une vaste question «pourquoi les armes?»

«Gun baby, gun Voyage de tous les dangers au pays des armes à feu», par Iain Overton, Éditions Belfond, 504 pages

Une phrase: «Il est arrivé qu’on me bande les yeux et qu’on m’emmène sur des sentiers humides pour rencontrer des groupes rebelles luttant pour leur indépendance au sud des Philippines; j’ai parlé à des gardes armés devant des camps de réfugiés où leur présence empêchait un massacre. À chaque fois j’étais pris dans le même paradoxe – parfois seules armes permettent d’éviter une tragédie humanitaire, tout en étant ce qui menace de la provoquer.»



*«Le Livre des violences», de William T. Vollmann, Editions Tristram, 944 pages

Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.