Une Diogène genevoise

Dans l’idée de tout garder, des sacs à mains aux packs de yaourts en passant par les cadavres d’animaux enfouis sous des montagnes de déchets et d’objets, il se manifeste comme une volonté obsédante de retenir le temps qui passe. C’est ainsi que Nelly, la mère de Carole Allamand, autrice de ce livre passionnant, devient ce que l’on appelle une Diogène.

Elle a vécu d’accumulations dès lors qu’elle s’est retrouvée veuve et que sa fille est partie s’installer comme professeure de littérature française au États-Unis. Comme si Nelly devait remplir sa vie, combler ses moments creux et faire du retranchement de l’appartement familial du quartier Saint-Jean une forteresse de la solitude.

C’est à la mort de sa mère que Carole Allamand, venue en Europe régler la succession découvre l’ampleur du désastre.

En partant de son cas individuel, l’écrivaine déploie avec concision une sorte d’enquête multiple – littéraire, sociale, intime, psychologique – pour explorer la dimension universelle du mystère de ces «gardeurs» pathologiques qu’ici on appelle curieusement Diogène, alors que le philosophe grec de l’école cynique était un apôtre du dépouillement.

Pour l’autrice qui confesse d’ailleurs ne «prendre aucun plaisir à écrire ces lignes» (p.144) ce livre sans concession est aussi l’occasion de tout dire – donc de ne rien garder- d’une histoire familiale tourmentée et difficile. Elle renvoie comme un un écho lointain au syndrome de Nelly, car pour cette dernière, tout conserver pour mémoire semblait finalement signifier ne rien retenir.

«Tout garder», Carole Allamand, Éditions Anne Carrière, 182 pages

Une phrase: «Le terme d’accumulateur étant déjà pris, celui de syllogomane trop compliqué, nous baptiserons gardeurs les victimes de ce syndrome. Les gardeurs, les bergers de l’inutile: j’aime cette appellation légèrement bucolique et qui ne sent pas le renfermé.»



Philippe Villard

Jongleur de mots et débusqueur de sens, le journalisme et le goût des littératures ont dicté le chemin d’un parcours professionnel marqué du sceau des rencontres humaines et d’une curiosité insatiable pour l’autre, pour celui dont on doit apprendre.